LE SEXE DE L’ARCHITECTURE

PUBLICATION

Polyrama, N°116, Lausanne, février 2002

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Le sexe de l’architecture: comment s’émanciper d’une culture séculairement masculine?

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La féminisation de l’architecture est en soi une des ®évolutions les plus importantes de la profession. Non pas en entraînant un nouveau courant architectural, mais en insufflant une nouvelle approche philosophique conceptuelle.

Des études statistiques montrent que le monde institutionnel et professionnel se féminise de plus en plus. Cependant, le monde de l’architecture reste encore dominé par la gente masculine.

Pourtant cela fait plus d’un siècle que les portes des écoles d’architecture se sont entrouvertes aux femmes. En effet, si, à travers l’histoire, il existe quelques réalisations ayant pour auteurs de projets des femmes, c’est, seulement depuis 1890, que seront diplômées, en Europe et aux Etats-Unis, les premières femmes architectes. Les hommes, quant à eux, sont reconnus architectes depuis la Renaissance, où l’architecture devient un art libéral qui requiert une formation artistique. Progressivement, des pionnières vont ouvrir leur propre agence et ouvrir la voie à leurs consœurs. L’économie et la politique de chaque pays vont fortement influencer la féminisation de la profession, tantôt favorisant leur activité, tantôt les renvoyant dans leur foyer.

Si on s’en réfère aux monographies architecturales actuelles, on constate l’émergence de grands noms féminins tels que Zaha Hadid, Itsuko Hasegawa, Françoise-Hélène Jourda, dans le « star system » de l’architecture. Des publications ont également permis au grand public, de découvrir l’œuvre d’Eileen Gray et de Charlotte Perriand qui ont marqué l’histoire de l’architecture et du design. Mais, on constate que, s’il semble y avoir un regain d’intérêt pour le « fait féminin », il existe encore une discrimination réelle à l’encontre des femmes.

Dans le milieu professionnel, les femmes restent sous-représentées dans les postes à responsabilités. Peu deviennent associées au sein d’une agence et l’équivalence des salaires n’est pas établie. Le plus souvent, les femmes en sont réduites à étudier des projets de logements, d’aménagements de crèches, hôpitaux, écoles ou de réhabilitation, plutôt que de gérer des projets de grande envergure ou de prestige. Parallèlement, leurs homologues masculins conservent le monopole dans le traitement des affaires, la direction des chantiers et la conceptualisation des courants architecturaux. Déçues, elles quittent souvent d’elles-mêmes le métier et beaucoup se tournent vers les emplois administratifs ou institutionnels, plus compatibles avec le rôle assigné aux femmes et à leur vie familiale. La majorité des postes de direction ou l’enseignement de matières telles que l’Architecture et l’Urbanisme restent attribués aux hommes. De même, il apparaît que très peu de femmes sont présentes dans les instances officielles qui, pourtant, régissent la profession.

Toutefois, si elles sont minoritaires dans les pays où la profession est libérale, elles sont plus nombreuses à professer dans les régimes socialistes où l’architecture est une profession d’Etat.

Actuellement, la participation aux concours d’architecture permet aux femmes-architectes de se distinguer. Car, souvent anonymes, ils ne révèlent pas l’identité sexuelle de l’auteur de projet, et sont donc à l’abri de toutes discriminations potentielles.

Pourtant, l’apport des femmes en architecture est prépondérant, car il contribue à l’édification et à l’amélioration d’une société faites par (et pour) les Hommes. On parle de dimension de genre en architecture et en urbanisme.

Le résultat de recherches scientifiques révèle des différences psycho-physiologiques entre l’homme et la femme. Principalement, l’utilisation différenciée des deux hémisphères du cerveau qui influencerait notre mode de pensée et notre comportement, et notre propre rôle dans la perpétuation de l’espèce : la femme EST en gésine, alors que l’homme FAIT. On pourrait dire que si, pour l’homme, il est important de “faire”, la femme quant à elle est plus centrée sur l’être. A notre génotype, s’ajoutent les conséquences des rapports souvent conflictuels qu’ont connu, de tous temps, l’homme et la femme ; chacun définissant le rôle de l’Autre et revendiquant sa place dans la société. Ainsi, la dichotomie sexuelle est aussi en grande partie une construction historique. Elle ne révèle pas les véritables identités sexuelles, mais celles acquises pendant des siècles. La structure sociale et donc le partage sexuel des tâches sont également des paramètres déterminants. Les femmes gèrent leur travail professionnel et domestique comme une entité, et relient les différentes sphères quotidiennes en activité dans un schéma spatio-temporel complexe. Cette préoccupation, ancrée dans le phénotype féminin, se remarque dans les projets architecturaux des femmes-architectes. Les hommes semblent plus attirés par l’objet architectural, la puissance formelle du projet et la volonté d’une architecture plus cartésienne. Précisons que ces caractéristiques reflètent un aspect général. Actuellement, la société tend à reconnaître progressivement la parité équivalente des êtres humains, l’Homme, de son côté, prend conscience de sa division binaire sexuelle.

A travers l’évolution de l’histoire de l’architecture, on constate que beaucoup de « grands » architectes ont compris l’intérêt d’une synergie bi-sexuelle en vue d’améliorer une société complexe, prenant en considération les intérêts de l’ensemble de la population. Les exemples d’équipes mixtes sont nombreux : Aino Marsio et Alvar Aalto, Lily Reich et Mies van der Rohe, Charlotte Perriand, Pierre Jeanneret et Le Corbusier, et plus récemment: Elisabeth Scott Bronw et Robert Venturi, Wendy Cheesman et Norman Foster, les bureaux Mecanoo, Asymptote.

Cependant, l’association de deux ou plusieurs architectes de sexe opposé ne constitue pas une juxtaposition de rôles spécifiques. Chacun y participe à part entière, quelle que soit son appartenance sexuelle, avec son bagage architectural et culturel. Ainsi, s’il est difficile (ou délicat) de reconnaître une origine féminine ou masculine dans un projet architectural mixte, on peut être sensibilisé par une architecture plus complexe ou plutôt plus complète et plus subtile; une architecture plus humaine. Celle‑ci naît d’un dialogue et procède de l’échange de différents courants de pensée et de perceptions.

Seul le changement de mentalité et une législation égalitaire pourront intégrer la femme à tous les niveaux décisionnels et améliorer les conditions de la femme-architecte dans l’exercice de sa profession.

Ainsi, à l’instar de la Finlande, et plus généralement des pays scandinaves, la législation sur l’égalité doit y contribuer, en instaurant systématiquement la parité au niveau de tous les domaines de la société et en renforçant les structures sociales (crèches, congés de maternité et de paternité) afin de faciliter la gestion de la vie familiale et favoriser l’implication professionnelle, sociale et politique des femmes. L’image de la femme professionnelle et celle de l’enseignante « transmettant son savoir » doivent être revalorisées.

De leur côté, les femmes doivent croire en leurs compétences, notamment professionnelles, et en leurs idées, s’éloigner d’une définition académique (et donc patriarcale) du « savoir-faire » architectural, pour développer, avec les hommes, une architecture Autre.

Le comportement éducationnel des adultes qui conditionne le devenir des enfants, doit faire en sorte que filles et garçons prennent, très tôt, conscience de leurs différences, mais aussi de leurs équivalences pour la construction d’une société exempte de stéréotypes archaïques dans la répartition des tâches et des rôles.

Mais, ce matin, lorsque mon petit garçon de trois ans m’a annoncé que, plus tard, il serait pompier, tout ce que nous avons développé plus haut m’a semblé être, encore, de l’ordre de l’utopie…