LE POINT APRES LE B.

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Revue URBANISME n°359 (En revenant de l’expo…), Paris, mars-avril 2008

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Maurice Audebert précise à la dernière page de son roman[1]: “Tombeau de Greta G., c’est le point après le G que l’on doit remarquer. Il dévoile l’intention, montrant la distance entre le réel et l’imaginaire.” Dans le titre de l’exposition de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine à Paris, La villa de Mademoiselle B.[2], c’est aussi le point après le B qui nous situe entre réel et imaginaire, entre imaginaire et réalité.

Au départ, Mademoiselle B. sollicite la Cité pour qu’elle lui concocte la villa de ses rêves. Etant donné que B. n’est autre que Barbie, qu’on ne présente plus, l’idéal de ses rêves frôle la voûte céleste. La Cité nous présente l’exposition comme une “carte blanche au rêve” prenant “d’emblée le parti de la fantaisie”, mais aussi une manière de ““parler architecture” en nous faisant sourire”. Elle précise, via son Président, François de Mazières, que la commissaire et architecte, Fiona Meadows, “vise surtout à mettre en évidence la créativité de femmes architectes dans le contexte français contemporain[3]“. Neuf femmes architectes sont choisies et le 8 mars (!) un tirage au sort a lieu désignant à chacune une pièce de la villa à concevoir. Elles vont créer une habitation, à l’image de Barbie, considérée comme “support pour questionner les modes et les styles de vie actuels, et proposer des approches alternatives à la vie domestique standardisée”.

Ainsi, cette réflexion, qui nous est donnée à voir, propose 9 pièces accolées les unes aux autres, allant de l’Urban Cottage où il fait bon de recevoir ses amis “people et jet-setters” au Pet Land, salle de jeu disco réservé aux “amis de compagnie, à plumes, à poils ou à écailles”. Afin de rassurer l’éventuel public bobo, une pièce de la demeure est réservée à l’organisation de réunions caricatives et, précise-t-on, en “accord avec ses convictions, Mademoiselle B. entend également porter des vêtements produits dans une démarche éthique”. En effet, Mlle B. parraine un atelier de couture et Barbie peut donc se vêtir d’habits réalisés …par les femmes d’un village d’Afrique!

Mais revenons à l’architecture: derrière la maquette de cette maison idéale, et c’est sans aucun doute ce qui m’a ramenée à la réalité, sont suspendus les portraits des femmes architectes qui ont pensé cet habitat qui “reflète notre mode de vie actuel” entourées d’une de leur réalisation préférée. Ainsi, nous est donné de visu un panel de la production architecturale féminine, non contextualisée, graphiquement éloquente. Et là, si j’avais souri, amusée, des clichés de l’exposition, bonne joueuse à oublier le sens de ma visite, le voile de la supercherie se lève, troublée d’imaginer que Mademoiselle B. soit si fine -littéralement- qu’elle se joue ainsi de tous.

Reprenons les ingrédients principaux qui permettent l’exposition: une institution qui traite d’architecture, dix femmes conceptrices, désignées avec évidence pour créer un lieu pour la femme-objet -jouet culte interdit aux garçons qui ne peuvent que fantasmer sous la couette-, et une “poupée mannequin à la silhouette inimitable (…): 29 cm de plastique moulé, des jambes incroyablement longues (…), des seins éternellement fermes et un visage adulte, impeccablement maquillé et souriant”[4] qui symbolise “la femme active, incarnant des valeurs morales, humaines, intemporelles”; le tout présenté en pleine période des fêtes. La recette ne peut être qu’indigeste, à moins de transcender cette métaphore et de parvenir à nourrir sa propre réflexion sur l’habitat de demain…pour tous. Après cela, nous ne pourrons pas fustiger le visiteur de se faire une certaine idée de l’architecture faite par des (Les?) femmes. Car le débat de genre s’invite naturellement: en ne choisissant que des femmes pour penser des espaces où l’on peut se faire belle, jouer à la James Bond girl, pour un des jouets qui sucite le plus de polémiques de la part des associations anti-sexistes, ne renforce-t-on pas la ségrégation des sexes? Oui, mais, et Ken, dans tout ça?

[1] Maurice Audebert, Le Tombeau de Greta G., éditions Actes Sud

[2] Exposition du 11/10/2007 au 27/01/2008

[3] Dossier de presse

[4] Dossier de presse (Mattel France, partenaire de l’exposition)

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