PRATIQUES DE SOI

PUBLICATION

A+ 238, Oct. 2012 _ Critique du livre de Pierre Blondel

A+

_Pratiques de soi, autofiction(s) de l’architecte

Il y a ce que Michel Foucault appelle les formes de subjectivisation qui se distillent dans la multiplicité des personnages imaginés par Pierre Blondel à la lecture de L.M.S. et autres nouvelles. Tous ne sont finalement qu’une seule et même voix, celle de l’architecte-concepteur, en proie à ses convictions, ses intentions et ses difficultés aussi à faire aboutir ses projets tout le long du processus architectural.

Courtes fables et nouvelles plus ou moins longues prennent pour théâtre des immeubles en voie d’élaboration, et sont le relais de l’avant-projet : « dessiner d’abord, réfléchir ensuite » écrit Pierre Blondel en préface. Il donne vie à des personnages dont il projette l’usage qu’ils feront de ses bâtiments, eux-mêmes érigés principalement dans la partie orientale de Bruxelles. Avec la distance que l’absurde fictionnel peut faire naître, on regarde la ville à travers leurs yeux, on vit les espaces à travers leurs habitudes, leurs croyances et les opinions de chacun. Mais à ne pas s’y méprendre, c’est avant tout dans l’intimité de l’architecte que l’on pénètre. « … et enfin un dernier, la gare, la nouvelle gare, un bâtiment impersonnel à la décoration inutile et banale qui lui rappela que Bruxelles était avant tout la capitale européenne de l’absence d’ambition urbanistique et de la médiocrité architecturale. » En filigrane des descriptions, et ce, dans la manière dont elles sont décrites, tout comme dans les affirmations et dénégations de ces personnages de fiction, tout autant loufoques, stéréotypés parfois, mais toujours empreints de beaucoup d’humanité, se dresse le portrait du concepteur. Et une part de la curiosité de la lecture tient par ailleurs dans le désir d’en savoir plus sur l’image qu’a l’architecte, en l’occurrence ici, Pierre Blondel, de « ses » futurs occupants et usagers urbains. C’est également dans le discours parrêsiastique, souligné par le même Foucault dans le Courage de la vérité, que vient l’autre part d’intérêt. L’auteur dénonce les systèmes qui régissent notre société –et les institutions qui parlent en son nom-, les politiques hypocrites qui dictent les lois urbaines, dont par exemple celles d’avoir (ou de ne pas avoir) accès à un logement décent, les inégalités qui subsistent entre les différentes classes sociales et culturelles et que seul le recours à la fiction, voire à l’autofiction, peut l’aider à exprimer. Mais la littérature est vite rattrapée par la réalité architecturale et la rigidité de ses propres codes. On regrette ainsi qu’ils s’imposent entre nos mains, par la raideur des pages et la préciosité du graphisme, alors on se surprend à avoir envie de libérer les mots, pour qu’ils mènent leur propre vie littéraire, car dans tout cela, nul doute qu’il y a cette part de vérité, et de nécessité à dire, toute l’incompréhension qui sévit entre les différents acteurs de cette agora. A nous, maintenant, d’y prendre part et de poursuivre le débat… (F.M.)