PUBLICATION
L’Esprit des Villes 2014, éd. Infolio
Depuis plusieurs années, les carnets de Marco sont devenus mes locataires. Huit carnets -trois gris et cinq noirs de format A5- me suivent de déménagement en déménagement, ayant, comme dirait mon fils, une âme de Touareg. C’est une lourde responsabilité, ces carnets. Tant on sent, en les ouvrant, l’émotion qui vous gagne par la richesse de leurs dessins. Des dessins qui racontent l’univers intérieur, silencieux et vacillant de Marco Sambo, « des dessins élémentaires, efficaces, puissants et cruels », comme le note le journaliste et écrivain, Ferdinando Camon.
En 2005, une amie me présente Loredana, une architecte italienne. Nos enfants fréquentent la même école. L’amitié va suivre, doucement, un peu douloureuse parfois. Son mari, d’à peine quarante ans, vient de mourir cet été d’un cancer des organes internes. L’année scolaire recommence. La tristesse, le questionnement, le sentiment d’injustice envahissent Loredana, la sensation aussi que laissent ces dernières années passées auprès de lui. Lui, Marco, qui a étudié l’architecture à Venise et travaillait sur le projet de restauration du Berlaymont, siège de la Communauté européenne. Marco malade, qui trois ans auparavant, découvre une aplasie et depuis, observe en silence, le monde qui l’entoure et la forme qui prend corps en lui, l’entraînant dans un cycle de chutes et de rémissions, d’espoirs et d’angoisses.
Entrer dans le monde de Marco n’est pas anodin. Chaque carnet est numéroté de 01 à 08. Le dernier étant inachevé. Chaque dessin est numéroté, à la main, du premier au 624e. Les quatre derniers n’ont pas de numéro. D’autres ont été dessinés sur des feuilles volantes présentés à des concours. La plupart des dessins sont à l’encre noire, un léger trait de crayon en filigrane. A chaque fois que j’ouvre un carnet, je découvre de nouveaux détails. Je ne me lasse pas de les redécouvrir. Entrer dans le monde de Marco, c’est porter un regard sur nous-mêmes, sur notre société, son absurdité, son automatisme, son masque -le nôtre-, le monde en marge que l’homme a créé à son image, et seulement, à une image. Et comme le conclut Ferdinando Camon: « Ces dessins représentent une seule, longue, ininterrompue lamentation sur de fait de naître, de vivre et de mourir sans vraiment voir, sans vraiment être vus. »
(F.M.) Bruxelles, 05 mars 2012
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Les dessins sélectionnés et présentés ici sont inspirés du roman d’Italo Calvino, Les Villes invisibles, Ed. Einaudi, Turin, 1972.