TEXTE > Michel Cleeren (photographe)
Texte pour l’exposition « Patience » (à venir)
121 jours (Latitude N 50°32’51” Longitude E 05°11’10”), 197 jours (Latitude N 50°32’42” Longitude E 05°12’57”), 121 jours (Latitude N 48°50’03” Longitude E 03°00’10”), 187 jours (Latitude N 56°17’09” Longitude W 04°39’29”), 136 jours (Latitude N 50°25’39” Longitude E 05°49’32”), …, 3, 4 mois, 6 mois et plus, le calendrier s’effeuille, le temps s’écoule, imperceptible. Presque.
C’est sur ce mot que se joue le travail de Michel Cleeren. Presque - formé de près et de que - s’apparente étymologiquement à empreindre : “ marquer la forme d’un corps dur sur une matière plus souple “. Ses photographies sont le témoignage des infimes changements du temps passé qui s’imprime sur les choses, comme d’ailleurs sur les gens, leurs visages et leur peau, comme sur l’écorce des arbres, sur la surface de la roche, dans la profondeur du ciel. Les traces du temps qui ne cessent de se produire sous nos yeux, mais qu’on ne voit pas. Il nous faut prendre la distance, un recul nécessaire, pour remarquer ce que François Jullien nomme les transformations silencieuses qui relatent le vécu des choses, le vécu des gens. Ces photographies nous content donc la vie, celle qui a eu lieu durant un certain moment en un endroit bien précis. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Il s’agit avant tout d’autobiographies nées dans la contemplation de l’instant pour se terminer lorsque la patience aura assez duré. Car il faut laisser du temps au temps pour que l’histoire s’écrive ; tout - peu en vérité - ne se fait en un jour. Déjà, une saison suffit pour que le temps se fasse sentir. Il patine délicatement ou, au contraire, ride le papier posé au pied de l’arbre immortalisé. Il altère, colore le tirage monochrome d’un oxyde transporté par le vent et la pluie, incrustant, dans l’intervalle, des sédiments ambiants. Inévitablement, et plus que tout, le temps manifeste sa présence. Seulement en gâtant, il magnifie. Il donne du relief à l’histoire, apporte de la profondeur. Oui, il y a ici quelque chose à découvrir, quelque chose qui suscite l’intérêt et invite à l’arrêt.
Michel Cleeren nous livre ainsi sa patience de conter, en vers et contre tout. D’escales et d’errances, proches ou lointaines, il ramène des récits radioscopés de la nature, transfigure le monde qui l’entoure, façonne des paysages où apparaissent les transformations patentes passées pourtant sous silence. Ensuite, alors, sur les épreuves affichées là sous nos yeux, de cette âme qui croit-on s’expose, à nous d’y lire ce que chacun veut bien en déduire. Les grattes, les empreintes, les souvenirs ; la sérénité ou les tourments ; la solitude de la fuite ou du repli ; le romantisme de la mélancolie, l’observation du flâneur,… mais il reste à parier que d’aucun ne pourra s’y aisément détacher son regard de la beauté qui émane de ce temps capturé.
(F.M.) Bruxelles, 11 janvier 2016