L’ONDE DE CHOC

PUBLICATION

Editions K1L / Artitude Gallery, Octobre 2017

Texte pour le catalogue de l’artiste Nathalie van de Walle

NATHALIE VAN DE WALLE

La venue de Katrina a tout déclenché. A l’autre bout du monde, Nathalie van de Walle regarde scotchée à l’écran les images relayées par toutes les chaines d’infos. Elle retient le cri, muette devant l’injustice de ce qui se vit là-bas, paralysée de fascination face à cette nature qui se déchaîne, une colère empreinte de l’irresponsabilité humaine. Un duel a lieu devant ses yeux. La nature exploitée chaque jour un peu plus par l’homme entend reprendre ses droits. Elle ne se dompte pas et Nathalie le sait. Son enfance au milieu des herbes hautes de l’Afrique le lui a enseigné. Le chef n’est pas celui qu’on croit ; surtout avec une telle stature de celle que l’on ne rencontre plus, avec une sagesse qui rayonne et se partage au simple contact, d’une troublante beauté pour peu qu’on la remarque, faite de contrastes sous l’étincelante lumière.

C’est dans la dualité que réside une grande part de l’intérêt suscité par l’œuvre de Nathalie van de Walle. Depuis le passage de l’ouragan Katrina, elle engrange les catastrophes, collationne les photographies des lieux dévastés et désertés de toute présence. Aux catastrophes dites naturelles s’ajoutent les catastrophes directement liées à l’activité humaine, comme celles du 11 septembre ou de l’accident ferroviaire de Buizingen. Toutes, par l’accélération de leur fréquence, pointent l’inconscience de certains et la responsabilité de la plupart d’entre nous. Il ne s’agit pourtant pas de nous balancer un regard moralisateur - nous sommes tous dans le même bateau. Tout au plus, un regard interrogateur. Comprenons-nous ce qui se joue sous nos yeux ? Entendons-nous ce qui se trame ? D’où vient le drame n’a donc que peu d’importance. Des bribes de débris se mélangent, s’assemblent, jonchent en tous sens ses compositions. Des bribes taillées dans la fine couche du bois, formes quasi abstraites lorsqu’on s’approche, recompositions par découpage et collage pour reformer d’autres espaces, d’autres paysages cinétiques. L’encrage des pleins met à jour l’entrechoquement des vides géométriques. Cette fascination, toujours, sublime le chaos. Les xylogravures, de grands formats, apparaissent comme des séquences sans logique effective. Chacune tend vers une autre. Les limites deviennent jonction ; il n’y a plus de frontière quand survient la catastrophe, comme il n’y a pas d’ordre de grandeur, d’ampleur plus ou moins importante. Il y a des drames, quels qu’ils soient. Face aux spectaculaires, Nathalie van de Walle n’en oublie pas pour autant les lieux en désuétude, qu’elle traque, croque et recadre, soulignant leur singularité de façon à les nommer et ainsi, les faire exister à nos yeux. Le trait fin et organique du crayon noir rend compte de la fragile désolation de ces terrains vagues, envisagés comme des blankspaces (zones ouvertes au tout-possible) par le penseur urbain, mais dont la réalité barricadée et maltraitée échappe souvent à l’usage et la pratique des habitants. Contre cette vision du temps, conséquence de l’abandon selon ses propres mots, l’artiste en viendra plus tard à les graver dans le bois, leur conférant une pérennité que nul ne pourra gommer de la carte.

À découvrir l’univers de Nathalie van de Walle, à entrer dans son travail, j’en ressors étonnamment apaisée, envahie d’une certaine joie créatrice. D’abord, il y a l’ivresse de l’apparent capharnaüm, je confonds l’envers et l’endroit et renonce finalement à comprendre entièrement. Je vacille avec elle. J’entrevois la patience nécessaire à la tâche, due à la répétition de chaque geste : graver, encrer, rectifier, reprendre l’ouvrage. Seulement, ces mains semblent conter l’apocalypse et je pourrais répugner à regarder l’étalage de ces catastrophes, refuser l’état de voyeur. Ce serait se leurrer sur l’intention de l’artiste. En déconstruisant ces images catastrophiques, Nathalie (se) questionne, ouvre l’espace à la réflexion, à la transformation des possibles. Elle construit un tout « autre », des fenêtres sur l’avenir. Cette ouverture, disait Derrida, « vaut mieux, voilà l’axiome de la déconstruction, ce à partir de quoi elle s’est toujours mise en mouvement, et qui la lie, comme l’avenir même, à l’altérité, à la dignité sans prix de l’altérité, c’est-à-dire à la justice. »

(F.M.) Bruxelles, 28 juin 2017

Gravures-dessins : Nathalie van de Walle // Textes (Fr/Nl/Eng) : Florence Marchal // Design et mise en pages : Florence Collard - Galerie Artitude // Une co-édition de K1L + Artitude

Photographies (site) : © Nathalie van de Walle + Editions K1L

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