Réemploi, un concept rétro-futuriste

PUBLICATION // DESIGN

Ecologik (Magazine trimestriel) N°58_Juin.Juillet.Août 2018

ECOLOGIK

(Initiation au design durable par le biais de « news » dans la revue EK)

Réemploi,un concept rétro-futuriste

Dans le quartier des Marolles, Marie-José, dernière remailleuse de Bruxelles, répare et adapte les vêtements que lui amènent les habitants depuis 75 ans. Le Stoppage est une des rares enseignes qui subsiste avec ce savoir-faire unique et dont le succès ne faiblit pas. Au contraire, il connait un regain d’intérêt depuis que le concept du zéro déchet a remplacé la nécessité de ne pas gaspiller. A 92 ans, Marie-José est devenue l’avenir ; la pointe de l’économie circulaire que les pouvoirs politiques et les institutions promeuvent à coup d’appels à projets et de promesses de bourses. Après des décennies de jetable et de surconsommation, la circularité des énergies s’impose, avec la difficulté de rester un modèle économique à la fois respectueux et viable, et de maintenir une certaine notion de plaisir et d’attractivité. A l’instar de quelques grandes villes européennes, la Région de Bruxelles-Capitale développe depuis 3 ans le programme Be Circular afin d’aider, financièrement et structurellement, les entreprises à passer d’une économie linéaire à une économie circulaire tout en créant de l’emploi. Bien qu’existant depuis 10 ans, ROTOR vient d’être désigné lauréat de cette année. Son activité consiste à récupérer sur les chantiers de démolitions tous les matériaux dignes d’intérêt qu’ils proposent à la vente, remis à neuf ou transformés. L’originalité de leur démarche vient non seulement de leur capacité à promouvoir la « branchitude » qui s’en dégage, mettant en valeur des pièces vintage (de la quincaillerie Art déco aux luminaires et mobilier des années 6070, en passant par les céramiques, cloisons et plafonds de toutes les époques), mais également d’apporter une véritable réflexion sur le bien fondé de la récupération des ressources de l’Urban mining, tant exceptionnel de nos jours qu’en voie de réhabilitation.

Le réemploi devient une attitude. Il interroge l’existence même du consumérisme, dopé par la logique concurrentielle des marchés et des industries basée sur l’innovation et donc l’obsolescence du produit, mais aussi par notre besoin de « posséder » et notre désir de modifier. Dans l’ouvrage récemment publié par l’équipe de ROTOR, « Déconstruction et réemploi », le réemploi est contextualisé historiquement et les enjeux débattus. On y apprend notamment que le Japon traditionnel fut, dans sa logique impérialiste replié sur lui-même, une source d’inspiration pour l’économie circulaire du bâti : les tatamis étaient interchangeables d’une maison à l’autre et réparables par tous, de l’épicier au paysan. Ou que le structuralisme architectural aux Pays-Bas reposait sur un système de type « mécano » qui permettait la réutilisation des éléments constructifs lorsqu’ils n’étaient pas liaisonnés par le béton coulé en place ; ce qui incite ROTOR à préconiser aux entreprises la création de cartes d’identité pour chaque élément constructif utilisé et le montage par assemblage réversible et non chimique.

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Autre lauréat, le projet OpenStructures, créé par Thomas Lommée puis développé en partenariat avec Christiane Hoegner, pousse plus loin le concept et, pour échapper à la suprématie d’un système commercial propriétaire, explore depuis une dizaine d’années les possibilités de l’open source appliqué au design. La plateforme accueille des pièces conçues par tout un chacun dont la seule contrainte est d’être compatible entre elles, grâce à la trame OS, outil de base métrique et dénominateur commun du système. Chaque contributeur alimente ce stock de pièces détachées dans lequel puiser pour imaginer objet, meuble ou installation modulable et démontable, aux matières ré-utilisables et aux formes ré-inventables. Autour de cette communauté de créateurs-utilisateurs se développe une nouvelle culture du design, une nouvelle manière d’envisager notre environnement et notre rapport à l’objet. Il tente aussi de résoudre la difficile équation du consommateur écologique, oscillant entre désir de possession individuel et partage de biens communs, où rien ne se perd, tout se transforme et surtout, se crée.

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Photographies : © OpenStructures / Rotor Liens : ECOLOGIK OPENSTRUCTURES ROTOR