Des temps intéressants

PUBLICATION // DESIGN

Ecologik (Magazine trimestriel) N°60_Décembre.Janvier.Février 2018-19

(Initiation au design durable par le biais de « news » dans la revue EK)

ECOLOGIK

Halte à la croissance ! est le titre doucement provocateur de la dernière exposition organisée par le Centre d’Innovation et du Design du Grand-Hornu, près de Mons. Il vient s’ajouter à la liste non exhaustive des expositions récentes sur les enjeux socio-écologiques: Nouvelles vies (Paris, EK56), Change The System (Rotterdam, EK57), Después del fin del mundo (Barcelone) ou The Future Starts Here (Londres) ; chacune présentant le monde de demain avec plus ou moins d’espoir ou de pathos que les articles à sensation de cet été caniculaire sont venus renforcer.

Si l’urgence est bien réelle et quelque peu anxiogène, il est intéressant d’observer la période innovatrice et créative que nous vivons, ouvrant un nouveau chapitre dans l’histoire du design. Depuis son apparition, à la moitié du XIXe siècle, le design a toujours participé aux changements de la société moderne, les accompagnant, les contredisant ou les initiant. A commencer par William Morris qui, avec le mouvement Art & Craft, souligne les risques de l’intensification industrielle, jusqu’aux grands manifestes des courants radicaux et intellectuels des années 70-80 dénonçant dans le sillage de Jean Baudrillard la société de (sur)consommation. Le recyclage et l’upcycling en sont des prolongations directes et force est de constater que cela ne suffit plus. Repenser la société et remettre en cause l’idée même de production d’objet deviennent le leitmotiv des designers d’aujourd’hui. Ils investiguent les processus de recherche pour un design éco-social et investissent les tiers-lieux, les biens communs et l’économie circulaire. Le public se retrouve ainsi face à une incitation à consommer autrement, voire à ne plus consommer du tout, obligé de revoir son jugement en matière d’esthétique, de performance et de possessivité – opter pour un type de « design » revient donc une fois de plus et comme son nom l’indique, à désigner ses choix, en l’occurrence ici, écologiques ou non. Ce qui ne se fait pas sans un petit mode d’emploi pour aborder le tournant.

Didactique ou artistique, voici donc la mission que s’imposent ces expos. En se multipliant, elles élargissent leur public. Celle du CID complète les précédentes, hors des villes phares. Dès l’entrée, installation et performance artistiques immergent le visiteur qui se laisse ensuite porter aisément au travers de propositions mêlant design minimalisme (Furnishing Utopia réinvente la chaise Shaker ; le sac en tissu multi-usage réapparaît) et objets en matières recyclées (Studio Swine utilise les déchets plastiques ou les canettes en aluminium pour concevoir deux tabourets : Sea Chair, 2012 et Can City, 2013). Passé cet espace de confort, l’intérêt s’éveille. A côté de la chaise, reproduite pour l’occasion (1974-2016), d’Enzo Mari, précurseur du Do It Yourself, se trouve une panoplie d’inventivité faite avec des matériaux courants ou des résidus : le Rocking-Knit, autoproduit, actionne une mécanique qui tricote un bonnet par l’impulsion du va-et-vient; Biceps Cultivatus est une cuisine intelligente capable de transformer les rebuts en compost et d’auto-conserver les aliments ; ou encore, l’Increvable SAS, une machine à laver facilement réparable et adaptable.

Pour autant, ne nous leurrons pas : « puissiez-vous vivre des temps intéressants » était une malédiction chinoise signifiant souhaiter à l’autre de vivre des temps problématiques. Cette période se transformera en espoir seulement si, comme le rappelle le philosophe Santiago Lopez Petit, elle nous permet d’aller au fond des questions essentielles. Alors, oui, souhaitons-nous que la croissance s’arrête.

ECOLOGIK

Photographies : © Sea Chair de Studio SWINE / Rocking-Knit de D. Ludi & C. Peillex / Biceps Cultivatus de Audrey Bigot / La Centrale motorisée, Système A, Antoine Monnet

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