PUBLICATION // DESIGN
Ecologik (Magazine trimestriel) N°60_Décembre.Janvier.Février 2018-19 Dossier
Autant l’annoncer de suite : espérer améliorer les espaces publics grâce au design est loin d’être une sinécure. Embellissement et convivialité vont souvent de pair avec la privatisation des espaces et la réduction des droits des citoyens.
Si on reprend l’idée généralement admise que le design contribue à parfaire un produit pour le rendre plus attractif, appliqué à la ville, la pratique des designers revient à en améliorer l’image et le confort pour certains usagers, les rendant complices des inégalités et de l’exclusion sociale présentes en son sein et générées par elle. Cette difficulté vient de la tension existante entre les intérêts des communes et le « droit à la ville » énoncé par Henri Lefebvre en 1968. Depuis, ce court manifeste pour le droit d’appropriation de l’espace urbain reste une référence complétée et réactualisée notamment par l’urbaniste Richard Sennett, le designer Victor Papanek ou l’architecte Lucien Kroll. Les villes, soumises aux lois du marché depuis les années 1990, tendent à perdre leur pouvoir de décisions et leur devoir de protection et d’accueil, alors que les citoyens subissent non seulement la dégradation de leur environnement, mais également la privatisation des espaces publics au profit de terrasses de café ou d’installations évènementielles impliquant d’y consommer. Or les espaces publics sont avant tout indispensables en tant que lieux d’échanges et de convergence, mais aussi de confrontations des différences - qui font la diversité de la ville et participent à sa survie; en somme, des espaces politiques et non des espaces marchands.
Voici donc les designers commandités par des communes qui n’ont plus forcément les moyens, ni l’intérêt ou les compétences pour répondre aux besoins des citoyens de façon égalitaire. Et sans y prendre garde, par leurs interventions locales et urbaines, ils peuvent ainsi prendre part au phénomène grandissant de gentrification, car, faut-il le rappeler, si nous voulons des villes qui attirent et drainent du monde, cela concerne « sólo la gente guapa, limpia y rica » (seulement les gens beaux, propres et riches), note l’anthropologue Manuel Delgado. Que peuvent ainsi faire les designers, dont la pratique, comme le rappelle Stéphane Vial, est tournée vers « l’amélioration de la vie d’autrui et de la collectivité », ce qui « participe inévitablement à définir les contours du vivre-ensemble » ?
Ne plus faire de design, suggère la politologue Margit Mayer, afin de ne pas apporter de « solutions » entrant dans une logique entrepreneuriale et néolibérale. Développer une pensée critique et innovante, passant par l’essai et l’expérimentation, et créer des possibles, des zones de dissidence pour rendre à la ville sa fonction politique et démocratique. Enfin, concevoir un design écosocial, un design éco-responsable participant au bien-être de tous, au-delà de la classe créative urbaine. Ce qui implique de questionner la notion de bien-être, le sens de la demande et du résultat, mais aussi les conditions de conception, de production et d’utilisation pour, conclut Ludovic Duhem, espérer « faire socialement du design ». Pas simple, n’est-ce pas ?
Photographies : © photo: MIKOMIKO STUDIO in « Paysages citoyens à Bruxelles », de J. & C. Mercier, éd. Racines (2018)
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