Who's afraid of Victor Papanek ?

PUBLICATION // DESIGN

Ecologik (Magazine trimestriel) N°65_Mars.Avril.Mai 2020

(Initiation au design durable par le biais de « news » dans la revue EK)

ECOLOGIK

Provocateur hier, prophète aujourd’hui, Victor Papanek, designer américain d’origine autrichienne, a bousculé ses pairs durant des décennies. Il a suscité autant l’admiration que le rejet de l’ensemble d’une profession, qui, depuis ses débuts, donne lieu à controverse, au point de s’interroger sur son devenir et remettre en question son utilité. Après le Vitra Design Museum en Allemagne, le Museu del Disseny de Barcelone vient d’accueillir The Politics of Design, première grande rétrospective sur l’un des pionniers les plus importants du design éco-social depuis les années 1960.

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Victor Papanek est né en 1923 à Vienne. Suite à l’Anschluss – l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie –, il fuit son pays et immigre aux États-Unis en 1939, l’année de la grande exposition universelle de New York. Les designers sont à l’honneur, chargés de construire le monde de demain et d’imposer le modèle de l’American way of life, en concevant des appareils électroménagers, des télévisions ou des tondeuses, qui narguent les Soviétiques. Héritier d’Henry Dreyfuss et de Raymond Loewy, reconnus comme fondateurs du design industriel, le couple de designers Ray et Charles Eames en est l’incarnation parfaite. Mais, alors que la consommation est propulsée par le design mis au service de l’industrie, la nouvelle génération issue du baby-boom commence à manifester son opposition. Les années 1960 marquent ainsi la fin des Trente Glorieuses et le début de la contreculture. Les étudiants, de plus en plus nombreux, se rebellent contre les injustices sociales et les discriminations, et luttent en faveur des droits civiques et de l’émancipation de la femme. Enfants des villes, ils critiquent fermement le consumérisme, qui épuise les ressources, et prônent un retour à la nature. Des guides pour apprendre à vivre de façon plus économique, durable et en autosuffisance commencent à circuler, c’est le début du DIY (Do It Yourself). L’activisme écologique se met en place d’abord aux États-Unis, pour ensuite toucher les autres pays développés. Bien que Victor Papanek ne fasse pas partie des baby-boomers, il est très sensible aux mouvements estudiantins.Formé à la Cooper Union School of Art de New York et passé par l’atelier d’architecture de Frank Lloyd Wright, il ouvre, en 1946, sa propre entreprise, la Design Clinic, avant d’entamer une carrière académique qui le mènera dans diverses universités américaines et européennes. De passage en Finlande, puis en Norvège, il est fortement influencé par l’humanisme du design scandinave et prend la mesure du rôle véritable du design. S’éloignant du constat d’un Loewy, « la laideur se vend mal », il entend répondre aux problèmes réels de gens réels. Le design se doit d’être socialement inclusif, juste et durable, ce qui nécessite une « équipe minimale de conception », renforcée par des experts pour chaque matière étudiée. Victor Papanek va ainsi être l’un des premiers à synthétiser et souligner la relation directe entre les problèmes environnementaux et le design, dans son fameux livre, sorti en 1970 en Suède (1971 aux États-Unis) : Design for the Real World : Human Ecology and Social Change.

À sa parution, le texte provoque une onde d’indignation dans le milieu. Il faut dire que, si l’ouvrage regorge de projets innovants réalisés avec ses étudiants, son auteur dénonce aussi crûment les designers, qu’il considère comme des créateurs d’ordures permanentes encombrant le paysage et dont les matériaux polluent l’air que nous respirons. Papanek les qualifie de « race dangereuse », car, dit-il, un designer qui obéit docilement à la volonté de l’industrie irresponsable est responsable à son tour. Malgré ses failles et l’abondante littérature sur le sujet, ce livre reste à ce jour toujours aussi pertinent quant à la question de la responsabilité socio-environnementale du design, au point que même Philippe Starck se met à envisager la disparition du design dans les dix ans à venir face à une dématérialisation nécessaire des objets qui nous entourent.

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Liens : ECOLOGIK Museu del Disseny de Barcelona